La Revolution Tunisienne 14 01 2011

Tunisie: le gouvernement est contesté A Sousse (centre-est) et Tataouine (sud), des manifestants ont escaladé la façade des sièges du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) pour ôter et détruire les drapeaux et symboles du parti. Le RCD a régné sans partage pendant 23 ans sur la politique intérieure tunisienne. Dans la capitale, la police a violemment dispersé à coups de matraques et de gaz lacrymogènes un millier de manifestants, parmi lesquels, pour la première fois, des islamistes. "On peut vivre seulement avec du pain et de l'eau, mais pas avec le RCD", ont scandé les manifestants. Le premier ministre Ghannouchi a tenté de justifier son choix mardi en assurant que les ministres maintenus dans le gouvernement ont "les mains propres" et "une grande compétence". Huit membres clef de l'équipe sortante, tous membres du RCD, ont été reconduits. Parmi eux, les ministres régaliens de la Défense, des Affaires érangères, de l'Intérieur et des Finances. Le syndicat UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens), dont le rôle a été crucial dans les manifestations qui ont fait tomber le président Ben Ali, réfugié depuis vendredi en Arabie Saoudite, a annoncé qu'elle ne reconnaissait pas la légitimité du nouveau gouvernement. Le conseil national de l'Ordre des avocats tunisiens, qui joue un rôle très important dans la défense des droits de l'homme en Tunisie, a aussi demandé "la mise à l'écart" des personnalités appartenant au parti de l'ex-dictateur Ben Ali. Le parti islamiste tunisien interdit Ennahda (Renaissance), pourchassé par l'ancien régime, a annoncé qu'il allait demander sa légalisation pour pouvoir participer aux élections législatives annoncées d'ici la mi-juillet par le premier ministre de transition. Par contre, la formation ne présentera pas de candidat à la présidentielle. Ennahda, démantelé après les élections de 1989 où il avait obtenu 17 % des voix, se présente comme un parti réformateur prônant un islam modéré et se dit proche de l'AKP turc, le parti islamo-conservateur au pouvoir à Ankara. Il a réclamé une "amnistie générale" pour que ses nombreux membres en exil puissent rentrer au pays, à commencer par Rached Ghannouchi, le responsable du parti réfugié à Londres. Dans le même temps, Moncef Marzouki, opposant historique de la gauche laïque au régime de Ben Ali qui a annoncé qu'il sera candidat à la présidence, est rentré de Paris. La télévision publique a montré mardi pour la première fois une cérémonie militaire en hommage à trois soldats tués ces derniers jours par des tirs de miliciens à Bizerte, ville portuaire au nord-ouest de Tunis. 78 morts, bilan officiel des violences Le ministre de l'Intérieur tunisien a donné lundi soir à la télévision un bilan global de 78 morts depuis le début des événements. Les troubles ont également fait 94 blessés, a indiqué Ahmed Friaa à la télévision publique. Le précédent bilan gouvernemental annoncé le 11 janvier, avant le changement de pouvoir, était de 21 morts. La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) avait annoncé 66 morts vendredi. Le ministre de l'Intérieur a souligné que "plusieurs" membres des forces de sécurité figuraient parmi les victimes sans préciser s'ils avaient été tués lors de heurts avec des manifestants, ou s'ils étaient tombés sous les balles des miliciens en armes loyaux à l'ancien homme fort du pays depuis sa fuite vendredi en Arabie Saoudite. Le ministre a également chiffré à 3 milliards de dinars (2,08 milliards de dollars) le coût des dégâts et des pertes subies par l'économie. Le président et le Premier ministre tunisiens doivent faire face à de graves tensions au sein du gouvernement de transition. © Hassene Dridi / AP/Sipa LE POINT.FR Le gouvernement d'union nationale tunisien doit se réunir, jeudi, pour la première fois afin d'aborder notamment le projet d'amnistie générale. Mais il traverse déjà une crise, des ministres d'opposition demandant une rupture complète avec le régime de Zine Ben Ali. Quatre ministres ont quitté le gouvernement mardi pour dénoncer la présence dans ses rangs de membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti du président déchu. Le Premier ministre Mohamed Ghannouchi a été reconduit pour former ce gouvernement dont les ministères régaliens de la Défense, des Affaires étrangères, de l'Intérieur et des Finances n'ont pas changé de main. L'Union générale tunisienne du travail (UGTT) a annoncé la démission de ses trois représentants et l'opposant Moustafa Ben Jaafar, du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) nommé à la Santé, a suivi le mouvement peu après. Le président tunisien par intérim, Fouad Mebazaâ, et le Premier ministre ont renoncé à leurs fonctions au sein du RCD quelques heures plus tard. "Une opportunité de briser la barrière de la peur" Ben Jaafar a laissé entendre que cela pourrait le faire réintégrer le gouvernement, mais l'UGTT a fait savoir que cela ne changerait pas sa décision. "Notre condition-clé est que le gouvernement ne comprenne aucun ministre qui appartenait au précédent", à l'exception du Premier ministre, a expliqué Abid al-Briki. "C'est en réponse aux demandes de la rue." Ghannouchi a dit que certains ministres étaient nécessaires pour assurer la transition jusqu'aux élections, attendues dans les deux mois. Mardi, la police a de nouveau fait usage de gaz lacrymogènes dans le centre de Tunis pour disperser une manifestation de centaines de partisans de l'opposition et de syndicalistes qualifiant de "mascarade" le nouveau gouvernement. Plusieurs centaines de personnes ont également manifesté à Monastir. Les protestataires étaient cependant moins nombreux que les jours précédents. Selon le dernier bilan officiel, 78 personnes ont été tuées dans les troubles et le coût pour l'économie tunisienne a été de deux milliards de dollars. Comme les Tunisiens, les Arabes de nombreux pays sont mécontents de la hausse des prix, de la pauvreté, du chômage élevé et des méthodes autocratiques des régimes en place, ce qui s'est traduit mardi par une nouvelle tentative d'immolation par le feu en Égypte. Dans un communiqué, un groupe d'opposition au président syrien Bachar el-Assad, la Déclaration de Damas, voit dans la révolte tunisienne "une opportunité de briser la barrière de la peur qui écrase les gens vivant sous la répression" et appelle les Syriens à manifester pour "la liberté et la démocratie". Dette : Moody's abaisse la note souveraine de la Tunisie L'agence de notation Moody's Investors Service a annoncé, mercredi 19 janvier, qu'elle avait abaissé d'un cran la note de la Tunisie en raison des incertitudes économiques et politiques qui pèsent sur le pays, la dégradant de "Baa2" à "Baa3". Moody's pourrait ne pas s'arrêter là, dans la mesure où la perspective d'évolution de cette note est désormais "négative". L'agence a également abaissé la note de la Banque centrale à "Baa3" avec une perspective négative. La note "Baa3" est octroyée par Moody's à des "émetteurs de qualité moyenne mais capables de faire face au paiement" de leur dette. C'est la plus faible note possible pour les émetteurs considérés comme fiables. L'agence justifie sa décision par "l'instabilité du pays, due au récent changement inattendu du régime, résultant d'une crise politique qui a débuté par des émeutes sociales". Elle relève aussi la poursuite des troubles et la situation politique "qui mettent en danger la stabilité du pays". Avant Moody's, deux autres agences de notation, Standards and Poor's et Fitch, avaient indiqué de leur côté envisager d'abaisser la note de la Tunisie. "Moody's met en garde contre le prolongement d'une crise qui serait potentiellement dommageable pour l'économie du pays, étant donné sa dépendance envers le secteur du tourisme et les investissements étrangers", explique Aurélien Mali, analyste de l'agence. Les événements récents "vont affecter les recettes fiscales et la croissance en 2011", ajoute-t-il. La dette de la Tunisie ne devrait pas dépasser 39 % de son produit intérieur brut à la fin de 2010, contre 55,6 % en 2003, et le pays devrait afficher une croissance de 3,8 % en 2010 après avoir atteint 3,1 % en 2009, relève également Moody's. Ban Ki-moon pour des "consultations élargies" en Tunisie Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon invite les autorités tunisiennes à "des consultations élargies" pour établir un gouvernement intérimaire participatif avant des élections "crédibles", a souligné, mardi, son porte-parole Martin Nesirky. "Le secrétaire général fait une nouvelle fois part de son inquiétude quant à la violence croissante en Tunisie et souhaite que tous les efforts soient fournis pour restaurer la paix et la stabilité", a-t-il ajouté. Il "lance un appel pour des consultations élargies en Tunisie pour établir un gouvernement intérimaire participatif conduisant à la tenue d'élections en temps voulu et crédibles par lesquelles les citoyens de Tunisie peuvent librement choisir leurs dirigeants", a-t-il dit. Les démissions dès mardi de trois ministres syndicalistes fragilisent le gouvernement d'union nationale en Tunisie formé la veille et qui, dominé par les caciques de l'ancien régime, se retrouve déjà contesté par la rue. En signe d'apaisement, le président tunisien par intérim, Foued Mebazaâ, et le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, ont démissionné du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali. Les Trabelsi-Ben Ali, prédateurs de la Tunisie Il est accusé d'avoir pillé durant quinze ans les richesses du pays en maniant la corruption, le vol, l'intimidation. Qualifié de "quasi-mafia" par la diplomatie américaine, selon WikiLeaks, le "clan Trabelsi", belle-famille de l'ex-président Ben Ali, subit aujourd'hui de plein fouet la colère du peuple tunisien. Au cours des dernières journées d'émeutes, leurs multiples propriétés ont été brûlées et pillées. Catherine Graciet, journaliste et coauteur avec Nicolas Beau de La régente de Carthage (éditions La Découverte), répond aux questions du Point.fr. Le Point.fr : Quand les Trabelsi accèdent-ils au pouvoir ? Catherine Graciet : Lorsque Ben Ali épouse Leïla Trabelsi en 1992, des clans existent déjà. Eltaief, Chiboub et Mabrouk, les époux des trois filles du président issues d'un premier lit, pratiquaient déjà une prédation économique sur le pays. Eltaief était même appelé le "président bis", il avait mis la main sur les usines, sur l'immobilier. Chiboub, lui, avait accaparé la grande distribution. Mabrouk, le réseau Internet. Après quatre ans de lutte intestine, Leïla parviendra à les mettre politiquement sur la touche. Qui sont les chefs du clan ? Les Trabelsi sont nombreux : en plus des dix frères et soeurs de la première dame, il faut compter sur ses neveux et nièces. La cheftaine, c'est bien sûr Leïla, qui fait faire ce qu'elle veut à l'administration. Son frère aîné, Belhassen, est le capitaine économique, un prédateur comme jamais la Tunisie n'en avait connu. Tous ont pratiqué une mise en coupe réglée du pays, des banques à la téléphonie, des transports aux douanes. Une des soeurs de Leïla a, elle, mis la main sur les buvettes des écoles et des universités : ça allait du très petit business, presque minable, au plus massif. Au vu et au su de tous ? Oui, et cela explique en partie l'intensité de la révolte. Les gens se vengent. En Tunisie, le peuple a une éducation à la hauteur, et a accès à Internet. Les gens étaient parfaitement informés de ce qui se passait, d'autant que beaucoup ont eu à en souffrir, et que les Trabelsi avaient un mode de vie très ostentatoire. Où pensez-vous qu'ils soient, aujourd'hui ? Il est difficile de se prononcer. Selon certaines rumeurs, Leïla serait à Dubaï et Sakhr el-Materi, le mari de sa fille Nesrine, au Qatar. Ce qui est sûr, c'est qu'ils resteront dans des pays d'où ils sont sûrs de ne pas être extradés. Et qu'ils vont devoir voyager pour gérer leurs avoirs à l'étranger. Quels sont les pays concernés ? Une grande partie de l'argent du clan est probablement à Dubaï. Peu avant la crise, ils avaient noué des relations avec de grands banquiers locaux. Ils ont sans doute aussi des avoirs à Malte, où le président se faisait soigner, ainsi qu'en Argentine. Mais leurs richesses sont, évidemment, très difficiles à chiffrer. La fortune personnelle de Ben Ali a été évaluée par Forbes, en 2008, à cinq milliards de dollars. Pour le camp Trabelsi, on peut parler sans trop de risques de centaines de millions d'euros. De quelles protections disposent-ils ? Celle de dictateurs proche-orientaux, bien sûr. Mais on ne saurait oublier qu'ils ont longtemps profité de la protection de l'Europe, et de la France au premier chef. Washington a lâché Ben Ali dès mercredi soir, et avait mis en garde en amont sur les dérives du régime. En France, rien. Quand Nicolas Beau et moi avons publié la régente de Carthage, on nous a même ri au nez. On nous disait : "Mais la Tunisie a une croissance stable, importante, les femmes y sont libres." Cette indulgence a, d'ailleurs, des raisons idéologiques. En arrivant au pouvoir, Ben Ali a fait le choix du libéralisme économique, et a préféré se tourner vers l'Europe plutôt que vers le monde arabe. Cela lui a valu la reconnaissance de la Banque mondiale, du FMI, et de nombreuses protections : les abus sur les droits de l'homme ont largement été passés sous silence en Europe. Quant au volet "corruption", peu de monde était au courant en Europe. Quelle entreprise va se vanter d'avoir versé cinquante millions d'euros à Belhassen Trabelsi pour s'implanter en Tunisie ? Qu'adviendra-t-il de leur fortune en Tunisie ? Certains parlent de nationalisations, comme celle de la banque de Sakhr el-Materi. Mais la priorité du pays est de ramener le calme dans la rue, et de constituer un gouvernement stable Tunisie : la "volte-face" française vue par la presse internationale LEMONDE.FR | 19.01.11 | 20h54 • Mis à jour le 20.01.11 | 07h26 Partagez • Facebook • TwitterScoopeoDeliciousBlogmarksWikioViadeo La ministre des affaires étrangères française, Michèle Alliot-Marie, le 21 décembre à l'Assemblée.AFP/BERTRAND GUAY De l'Algérie aux Etats-Unis, la position de la France face au soulèvement tunisien fait couler beaucoup d'encre. Aux yeux des observateurs internationaux, l'"embarras" de Paris est à la mesure de son "silence", voire de sa "complaisance" envers la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali. Tous évoquent un "faux pas diplomatique". Le jugement d'El Watan est sans appel : "Cette complaisance teintée de paternalisme, voire de condescendance, n’a pas servi la Tunisie et les Tunisiens. Ni l’image de la France, patrie des libertés et des droits de l’homme." A l'instar du reste de la presse internationale, le quotidien algérien se demande "comment la France a-t-elle pu s'enfermer dans un soutien sans faille au régime de Ben Ali, alors qu'elle appelle à la démocratie en Côte d'Ivoire ? Se montrer sourde et aveugle à la révolte populaire ?" Tous observent désormais avec grand intérêt la "volte-face de Paris" depuis le 14 janvier, à l'instar du Guardian, qui note que "les dirigeants français se sont démenés pour sauver la face et se montrer inflexibles". La presse internationale avait ainsi les yeux rivés sur la ministre des affaires étrangères française, Michèle Alliot-Marie, qui s'est expliquée, mardi 18 janvier, devant la commission parlementaire sur sa proposition au dictateur tunisien de prêter assistance à ses forces de sécurité face au soulèvement tunisien. Comme en conclut El Watan, "il est temps de se rattraper". LE "SAVOIR-FAIRE" DES POLICIERS FRANÇAIS La proposition de Michèle Alliot-Marie de prêter main forte au régime tunisien face aux manifestants avait suscité l'ire du chroniqueur Mustapha Hammouche dans Liberté, qui y voyait un "affront aux souffrances, aux sacrifices et sévices que subissent en général les Maghrébins qui luttent pour leurs droits". "Outre que la proposition pose un problème de considération de la souveraineté des Etats qu'elle veut défendre contre sa population, Alliot-Marie n'a apparemment pas peur de réveiller des souvenirs des peuples, historiquement victimes du 'savoir-faire' policier de la France. Ces souvenirs sont faits, en ce qui concerne l'Algérie, du 11 décembre 1960 à Alger, au quartier Belcourt, et du 17 octobre 1961 à Paris, par exemple", notait ainsi le chroniqueur. Moins passionné, Charles Cogan, ancien chef de la division Proche-Orient–Asie du Sud dans le conseil d'administration de la CIA, rappelle dans le Huffington Post que "la France s'est longtemps acoquinée avec Ben Ali par le passé". Si Mme Alliot-Marie a mis "les pieds post-coloniaux dans le plat", il note toutefois qu'"en ce qui concerne la protection de la vie de ses citoyens, la France, pays qui tolère les manifestations comme part de son esprit révolutionnaire, semble avoir trouvé la façon de gérer ces deux opposés". Pour le Financial Times, "Mme Alliot-Marie était dans la droite ligne d'une longue tradition de soutien français au régime de Ben Ali", rappelant notamment l'hommage de l'ancien président Jacques Chirac au "miracle économique" tunisien et à sa défense des droits, ainsi que celui de Nicolas Sarkozy. "Les ratés de la diplomatie française" remontent bien avant le président Chirac, note Le Temps (article en accès abonnés), qui cite l'expert français en géopolitique François Heisbourg sur les nombreux "trains de la liberté" que la France a ratés dans l'histoire : "la chute du mur de Berlin, comme de celle de l’Union soviétique". Nicolas Sarkozy et Zine El Abidine Ben Ali, le 28 avril 2008 lors d'une cérémonie à Tunis.AP/JACKY NAEGELEN DEUX POIDS, DEUX MESURES La ligne de défense de la ministre, basée sur la politique de non-ingérence de la France dans les affaires de politique intérieure d'Etats souverains, est d'emblée questionnée par le Guardian, qui rappelle que son prédécesseur Bernard Kouchner a été l'architecte de la politique d'ingérence humanitaire. Le Temps va plus loin et se demande :"Entre le silence en Tunisie et l'appel à Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir en Côte d'Ivoire, la politique étrangère française est-elle basée sur 'deux poids deux mesures ?'" Une question que se posait déjà Time le 12 janvier. "Etant donné leur habitude à répondre rapidement aux injustices des régimes oppresseurs, la discrétion des représentants français en réaction à l'escalade de la violence en Tunisie frappe certains observateurs comme étant en effet curieuse", note l'hebdomadaire américain. "Cela contraste avec les dénonciations répétées et acerbes de Paris d'autres régimes ayant des comportements importuns ailleurs dans le monde", citant notamment les réactions françaises sur l'Iran, la Birmanie ou la Corée du Nord. LES RAISONS D'UN SILENCE Derrière le silence de la France face aux événements en Tunisie, Time estimait qu'"en plus du cynisme politique, une profonde histoire commune franco-tunisienne est en jeu". Le quotidien américain cite ainsi les racines tunisiennes de nombreuses familles françaises depuis l'ère coloniale jusqu'à nos jours. "En tant qu'ancienne puissance coloniale, la France a des relations compliquées avec la Tunisie", renchérit le New York Times. Le Guardian note ainsi que "de par son histoire coloniale, Paris a eu tendance à adopter un point de vue de propriétaire vis-à-vis de la politique au Maghreb et en Afrique de l'Ouest, mais en même temps sous Sarkozy, elle a commencé à se retirer d'un long enchevêtrement dans la région". Les observateurs internationaux pointent ainsi les intérêts stratégiques de la France en Tunisie. "La mainmise du pouvoir pendant vingt-trois ans du président tunisien a fait de lui un partenaire stable dans une région cruciale pour les intérêts français", note Time, qui indique par ailleurs que "la politique draconienne de Ben Ali l'a aidé à empêcher les extrémistes islamistes à opérer en Tunisie comme ils l'ont fait avec plus de succès en Algérie, au Maroc et dans la région du Sahel". Ainsi, le Guardian note que "les analystes disent que Sarkozy préfère une 'dictature bénigne' en Afrique du Nord à l'alternative potentielle de régimes islamiques hostiles et déstabilisateurs, l'Algérie représentant un scénario cauchemar pour Paris". Le président américain, Barack Obama, le 30 novembre 2010.AP/J. Scott Applewhite LE SUCCÈS DIPLOMATIQUE AMÉRICAIN Si la presse internationale ne trouve aucune excuse à la position adoptée par la France, c'est notamment parce que les Etats-Unis, toujours "amicaux" avec la Tunisie, ont su adopter une position plus critique. Ainsi le New York Times indique que "par contraste, aidé par la divulgation de câbles diplomatiques par WikiLeaks, les Tunisiens considèrent que les Etats-Unis ont fait des déclarations plus critiques sur la corruption et l'avidité en Tunisie. Washington a également critiqué la répression contre les manifestants, et le président Barack Obama a marqué des points auprès des manifestants vendredi en saluant leur 'courage et dignité' et en appelant à des élections équitables". Une différence de ton qui s'est encore fait remarquer après la fuite du président Ben Ali vendredi. "La France, embarrassée par une complaisance sans faille face à la révolution pacifique qui est en train de se produire en Tunisie, s'est montrée, depuis le début, d'une extrême réserve, l'Elysée se contentant, vendredi soir, d'en 'prendre acte', une réaction tranchant avec celle du président américain, Barack Obama", notait ainsi le quotidien algérien El Watan. Hélène Sallon Appel à témoignages Vous habitez au Maghreb ou au Moyen-Orient, ressentez-vous l'onde de choc de la révolution tunisienne ? Du Yémen au Maroc, en passant par la Jordanie, l'Egypte ou l'Algérie, le succès du soulèvement tunisien contre le régime Ben Ali semble rencontrer un écho. Comment les événements en Tunisie ont-ils été suivis et reçus dans votre entourage ? Sentez-vous un raidissement du gouvernement de votre pays, une montée de l'exaspération populaire voire l'émergence de revendications sociales et politiques ? Une sélection de vos témoignages sera publiée sur Le Monde.fr. Trente-trois membres de la famille Ben Ali arrêtés en Tunisie LEMONDE.FR avec AFP | 20.01.11 | 08h41 • Mis à jour le 20.01.11 | 09h28 • Trente-trois membres de la famille du président tunisien déchu Zine El-Abidine Ben Ali, soupçonnés de crimes contre la Tunisie, ont été arrêtés ces derniers jours, indique, jeudi 20 janvier, une source officielle à la télévision nationale. La chaîne publique n'a pas précisé les noms de personnes interpellées ni leur degré de parenté avec l'ex-président qui a fui le pays pour l'Arabie saoudite vendredi. (Voir notre infographie animée Le clan Ben Ali, une mafia à la tête de l'Etat). La télévision a diffusé des images de très nombreux bijoux, montres et cartes bancaires internationales saisis lors des arrestations dont les circonstances n'ont pas été précisées. Des stylos permettant de tirer des balles réelles ont également été saisis. Une enquête judiciaire pour "acquisition illégale de biens", "placements financiers illicites à l'étranger" et "exportation illégale de devises" a été ouverte mercredi par la justice tunisienne contre le président déchu et sa famille. Elle vise nommément l'ancien chef de l'Etat, sa femme, Leila Trabelsi, "les frères et gendres de Leila Trabelsi, les fils et les filles de ses frères". LES AVOIRS DU CLAN BEN ALI EN FRANCE Le ministre du budget, François Baroin, a indiqué jeudi sur LCI avoir été "informé" par Tracfin de "mouvements suspects" sur des avoirs en France du clan de l'ex-président tunisien déchu Zine El Abidine Ben Ali, mais a refusé de parler "d'évasion ou de sortie" de fonds. "Une banque constate un mouvement au-delà des plafonds", a-t-il ajouté, sans livrer plus de détails. Il appartient, a dit le ministre, à Tracfin, la cellule du ministère des finances chargée de traquer les mouvements d'argent suspects, de saisir l'autorité judiciaire compétente. Après la chute du régime Ben Ali, Tracfin a demandé en début de semaine à l'ensemble des établissements financiers français de lui signaler "sans délai" tout mouvement de fonds suspect, "retraits substantiels en espèces, achat de métaux précieux, envois de fonds vers l’étranger, etc." A partir de là, Bercy peut ainsi bloquer administrativement pendant 48 heures toute opération présumée douteuse, avant que la justice ne prenne éventuellement le relais. "A ce stade, il n'y a pas encore de procédure engagée par Tracfin mais il y a désormais des procédures judiciaires engagées par des tiers", a précisé François Baroin. Les organisations non gouvernementales Transparency International et Sherpa, ainsi que la Commission arabe des droits humains, ont ainsi annoncé avoir déposé plainte contre X pour "corruption, blanchiment et recel d'abus de biens sociaux". Sherpa affirme que l'ex-président tunisien "possède au moins une propriété dans Paris évaluée à elle seule à 37 millions d'euros". Le Figaro évoquait lundi des appartements dans les beaux quartiers parisiens, des propriétés en région parisienne, un chalet dans la station de ski alpine de Courchevel et des villas sur la Côte d'Azur.