mercredi 19 janvier 2011

Le Kombattant Suprême

Habib Bourguiba


(1903-2000)





Leader de la lutte pour l'indépendance (1932-56), et Fondateur de la Tunisie moderne (1957-1987).


Enfance et études du jeune Bourguiba (1903-1927)



Fils d'un officier de l'armée symbolique que l'occupant français avait accordée au bey de Tunis, Habib Bourguiba est né officiellement le 3 août 1903 à Monastir, dans une famille de condition modeste, mais une forte incertitude demeure sur cette date qui, selon certains de ses biographes, pourrait avoir été falsifiée de quelques années pour rajeunir le «combattant suprême».

Après avoir obtenu son certificat d'études primaires à l'école Sadikienne, il entame ses études secondaires au Collège Sadiki à Tunis où il décroche le Brevet d'arabe avant de s'inscrire au Lycée Carnot où il obtient, coup sur coup, la première partie puis la seconde partie du Baccalauréat, en 1924. Il s'embarque ensuite pour Paris (Sorbonne) où il poursuit ses études supérieures à la Faculté de Droit et à l'Institut d'Etudes Politiques. En 1927, il y obtient respectivement sa Licence en Droit et le Diplôme supérieur d'Etudes Politiques.

Il rencontra durant son séjour en France une femme française, Mathilde, qu'il épousa en 1927. Elle lui donnera son fils Habib qui deviendra l'un de ses conseillers les plus écoutés.

Le militantisme débutant et la formation du Néo-Destour (1927-1934)

De retour à Tunis dès l'obtention de ses diplômes en 1927, il exerce sa profession d'avocat, parallèlement à d'autres activités. Ainsi, il participe à la rédaction de nombreux articles dans les journaux nationalistes qui paraissaient à l'époque, tels "La Voix du Tunisien" et "l'Etendard Tunisien". Le 1er novembre 1932, il crée, de concert avec un groupe de compagnons, le journal "L'Action Tunisienne" qu'il dirige en personne.

A la suite du Congrès du Parti du Destour, tenu le 12 mai 1933, il devient membre de la Commission Exécutive du Parti. Cependant, le 9 septembre 1933, il en démissionne après avoir fait l'objet de vives réprimandes pour avoir fait partie d'une délégation de dignitaires de Monastir qui s'était rendue au Palais du Bey pour protester contre le gouverneur de la ville qui avait autorisé l'inhumation du fils d'un naturalisé dans le cimetière musulman.

Il s'emploie, par la suite, à expliquer les raisons de sa démission de la Commission exécutive, jusqu'à ce qu'il fût décidé de réunir un congrès extraordinaire du parti, le 2 mars 1934 à Ksar Hellal. Ce congrès se termine par la dissolution de la Commission exécutive et la constitution d'un Bureau politique composé comme suit : le Dr Mahmoud Materi, Président; Habib Bourguiba, Secrétaire Général; Tahar Sfar, Bahri Guiga et M'hammed Bourguiba, membres, fondant le Néo-Destour.

La répression coloniale (1934-1940)

Au milieu des années 30 et après la nomination de Marcel Peyrouton comme Résident général de France en Tunisie, la répression coloniale se fait plus violente dans le pays. Les militants nationalistes font alors l'objet de mesures d'éloignement dans le Sud tunisien : Le Leader Habib Bourguiba et certains de ses compagnons sont ainsi assignés à résidence à Kébili puis à Borj Leboeuf.

La résistance nationale se poursuit, cependant, sous diverses formes, jusqu'à la remise en liberté des leaders exilés, et cela à la suite de l'accession du Front populaire au pouvoir en France (le 3 mai 1936), sous la conduite de Léon Blum. Ils reprirent alors leur combat, le Bureau politique s'employant activement à concrétiser les revendications patriotiques, dès lors que le Gouvernement français avait failli à ses engagements. L'atmosphère devint des plus tendues, vers la fin de 1937, au lendemain du Congrès de la Rue du Tribunal, qui proclama sa défiance vis-à-vis du Gouvernement français en raison de ses orientations incompatibles avec les promesses faites.

Alors, le mouvement national eut à faire face à des événements sanglants qui connurent leur paroxysme le 9 avril 1938 et à la suite desquels le Leader Habib Bourguiba et ses compagnons furent arrêtés et détenus à la prison civile, ainsi qu'à la prison militaire où il fit l'objet d'un long interrogatoire pour conspiration contre la sûreté de l'Etat, avant d'être transféré à la prison de Téboursouk puis à des prisons en France.

Bourguiba et la guerre (1940-1944)

Le régime de Vichy le livra à Rome en 1940 à la demande de Mussolini qui espérait l'utiliser pour affaiblir la Résistance en Afrique du Nord. Cependant Bourguiba ne voulut pas cautionner des régimes fascistes et lança le 8 août 1942 un appel en faveur du soutien aux troupes alliées face aux forces de l'Axe. Cette position lui valut d'être aussitôt arrêté par les Allemands, mais allait être à l'origine de sa remise en liberté, en avril 1944.

Bourguiba ambassadeur de la cause tunisienne. (1945-1949)

En 1945 cependant, la position française resta inchangée et Bourguiba partit s'installer au Caire, où se trouve le siège de la Ligue des Etats Arabes, en vue de rallier des soutiens à la cause nationaliste tunisienne. De concert avec Abdelkrim Al Khattabi, il y participe à la fondation du Bureau du Maghreb Arabe, avant de repartir pour New York, en décembre 1946, afin de faire connaître la cause de la Tunisie aux Nations Unies. Dans les années qui suivirent, Bourguiba visita de nombreux pays, où sa forte personnalité lui valut nombre de victoires diplomatiques.

La lutte sur le terrain et l'exil (1949-1954)

Conscient de l'importance du combat pour la liberté, à partir de l'intérieur même du pays, il rentre en Tunisie en septembre 1949, avant de s'embarquer de nouveau pour la France en vue de gagner des sympathisants au sein de la gauche française et de faire connaître davantage le mouvement nationaliste tunisien. Il annonce un programme en sept points et, intéressé par la première expérience de pourparlers, apporte son soutien à la participation du Leader Salah Ben Youssef au sein du Cabinet Chenik formé en vue des négociations.

Toutefois, les résultats ne furent pas à la mesure des attentes des nationalistes puisqu'ils débouchèrent sur le Mémorandum du 15 décembre 1951 imposant la co-souveraineté. Habib Bourguiba le rejeta ouvertement, ce qui constitua l'une des premières étincelles de la révolution armée, qui éclata le 18 janvier 1952, date à laquelle se tint dans la clandestinité, le Congrès extraordinaire du Parti dont le Résident Général Jean de Hautecloque avait interdit l'organisation et qui allait réclamer l'indépendance.

Bourguiba fut alors éloigné à Tabarka, puis à La Galite où il passa deux années en exil, mais conserva le contact avec les patriotes qu'il appelait à la résistance et à la persévérance dans le combat.


Vers l'indépendance (1954-1956)



Après le rejet des réformes de Pierre Voisard, le 4 mars 1954, il fut transféré à l'île de Groix et dans des endroits proches de Paris d'où il continua de suivre l'évolution de la cause tunisienne. Arrivé au pouvoir en France, le 18 juin 1954, Pierre Mendès-France effectua une visite en Tunisie et prononça son fameux discours du 31 juillet 1954 dans lequel il annonça que son Gouvernement reconnaissait l'autonomie interne de la Tunisie. Un Gouvernement intérimaire fut alors constitué en vue des pourparlers, avec la participation de trois membres du Parti du Néo-Destour; et il fut procédé à la signature du Traité de l'autonomie interne, le 3 juin 1955.
Un différend majeur éclata alors, entre le Leader Habib Bourguiba et le Secrétaire général du Néo-Destour, le Leader Salah Ben Youssef pour qui les accords de l'autonomie interne constituaient un pas en arrière. Le différend s'aggrava au point de provoquer une scission dans les rangs des militants et de fissurer l'unité nationale. Le différend allait être tranché au profit de Bourguiba, lors du congrès que le Néo-Destour tint à Sfax le 15 octobre 1955. Quelques mois plus tard, le cours de l'histoire allait aider les Tunisiens à réclamer l'indépendance totale. Le Gouvernement tunisien engagea, en effet, des pourparlers qui s'achevèrent par la signature du Protocole du 20 mars 1956.


La constitution d'un état moderne (1956-1971)

Le 8 avril 1956, il fut procédé à l'élection de l'Assemblée Nationale Constituante dont le Leader Habib Bourguiba fut le premier président. Le 14 avril 1956, il fut chargé de former le premier gouvernement de la Tunisie indépendante. Le 25 juillet 1957, était proclamé le régime républicain et Bourguiba devenait Président de la République.

Il entreprit, depuis lors, de débarrasser le pays de toutes les séquelles de la période coloniale. Les réformes se succédèrent pour mettre en place un Etat moderne, parachever la souveraineté nationale et moderniser la société, à travers la propagation de l'enseignement et la promulgation du Code du statut personnel. Le pays fut divisé en 14 provinces, appelées Gouvernorats, dotés d'une administration moderne. Le Congrès de Bizerte instaura la coexistence des trois secteurs (public, privé et coopératif); mais l'expérience de coopérativisation ayant manqué détruire l'économie du pays, Bourguiba se résolut à changer d'orientation économique à partir d'octobre 1969.

Défenseur passionné d'une modernité arabe, l'ancien président s'est également distingué de ses homologues en politique étrangère. Vingt ans avant le président égyptien Anouar el-Sadate, il préconise la normalisation des rapports avec Israël en proposant la création d'une fédération entre les Etats arabes et l'Etat hébreu, une suggestion qui lui attirera les foudres des nationalistes de la région. Sous la pression de ses partenaires, Habib Bourguiba condamne à son tour les accords de paix de camp David en 1978, ce qui, en contrepartie, vaudra à la Tunisie d'accueillir le siège de la Ligue arabe, puis celui de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Enfin, bien que l'Islam reste la religion d'état, le pouvoir des chefs religieux fut grandemant réduit. Les femmes accèdent à un statut inouï dans le monde arabe, dépassant même celui des Françaises dans certains domaines. La polygamie est interdite, le divorce autorisé et l'avortement légalisé.

Habib Bourguiba divorce de Mathilde puis épouse Wassila à qui il remettra de plus en plus de pouvoir, l'âge venant.

Les faux pas de Bourguiba (1971-1987)

Le 11 octobre 1971, les assises du congrès du Parti Socialiste Destourien tenues à Monastir adoptèrent une orientation qui n'eut pas l'heur de lui plaire. Alors, un deuxième congrès, convoqué, toujours à Monastir, le 12 septembre 1974, décida d'amender la Constitution de façon à instituer la présidence à vie au bénéfice du Leader Habib Bourguiba.
Quoiqu'elle eût à connaître durant les années 70 une période de relance économique, grâce à l'adoption d'une politique de libéralisation de l'économie mise en place par feu Hédi Nouira, la Tunisie ne fut pas à l'abri des convulsions politiques, sociales ou économiques, qui allaient s'amplifier, tout particulièrement au milieu des années 80. Le clientilisme (ou "pistonnage") prit de plus en plus d'ampleur jusqu'à étouffer le développement économique social du pays. La situation devint d'autant plus complexe que l'âge avancé du Leader Habib Bourguiba, l'aggravation de son état de santé et son incapacité de gérer les affaires de l'Etat, attisaient les convoitises de tous ceux qui, autour de lui, s'entre-déchiraient pour la succession.

Le pays s'engagea ainsi dans une crise politique et sociale étouffante, rendue encore plus grave par la dégradation de la situation économique qui était perceptible à travers la paralysie des rouages de l'Etat et l'obscurcissement des horizons devant les Tunisiens et les Tunisiennes, aiguisant leur sentiment d'inquiétude, de désespoir et de perte de confiance en le présent comme en l'avenir. Cette situation favorisa la montée de l'Islamisme, ce qui mena le pays au bord de la guerre civile, avec des émeutes de plus en plus vives.

Commencé dans une atmopshère de libéralisme et de laïcisation de la société tunisienne, le long règne de Bourguiba s'achève dans une atmosphère de crépuscule alimentée par une une grave crise économique et une véritable paranoïa du chef de l'Etat, engagé dans une lutte sans merci contre la montée de l'islamisme menée par le général Ben Ali.

La destitution du 7 novembre 1987

Devant les dangers qui guettaient le pays et les menaces qui pesaient sur sa sécurité et sa stabilité, Zine El Abidine Ben Ali, nommé Premier Ministre, le 2 octobre 1987, se résout à intervenir, le 7 novembre de la même année. Certificats médicaux à l'appui, il destitua le Président Bourguiba, jugé sénile, et prit en main les destinées du pays à l'issue d'un «coup d'Etat médical», unique dans les annales du monde arabe.
Dans sa Déclaration du 7 novembre, le Président Ben Ali a rendu hommage aux énormes sacrifices consentis par le Leader Habib Bourguiba, premier Président de la République Tunisienne, en compagnie d'hommes valeureux, au service de la libération de la Tunisie et de son développement.

Maladie et disparition du Leader


Le Président Ben Ali a entouré le Leader Habib Bourguiba de ses attentions et de sa sollicitude, en hommage à la place qu'il occupe dans l'histoire du pays et aux services louables qu'il a rendus à la patrie. Le Leader Habib Bourguiba fut assigné à résidence à Monastir, sa ville natale, où il s'était fait construire un imposant mausolée de marbre blanc, dans une résidence confortable et où il bénéficia d'une sollicitude constante de la part d'une équipe médicale et d'un personnel attentif à tous ses besoins. Habib Bourguiba se disait lui-même «bien traité» par le nouveau pouvoir. Souffrant de troubles de l'élocution et de l'attention depuis plusieurs années, le «combattant suprême» recevait parfois quelques visiteurs étrangers, mais aussi l'actuel chef de l'Etat, qui aimait néanmoins s'afficher aux côtés de celui qui restera dans l'histoire comme le véritable fondateur de la Tunisie moderne. De son côté, le Leader Habib Bourguiba rendit visite au Président Ben Ali, au Palais de Carthage, le 13 mai 1990.


Le 5 mars 2000, Bourguiba est hospitalisé en urgence, mais retourne chez lui 8 jours plus tard, où il mourra le 6 avril 2000 à l'âge de 97 ans environ.

Avec la disparition du Leader Habib Bourguiba, la Tunisie et le monde perdent l'un des chefs historiques qui ont conduit leurs pays à l'indépendance et à la liberté, et l'un des plus grands hommes que le vingtième siècle ait connus au Maghreb, dans le monde arabe, en Afrique et dans le Tiers-monde

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